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15 mars 2007 4 15 /03 /mars /2007 14:34

Jansénisme et Inquisition

(résumé de la conférence du 13 mars 2007)

 

« L’Inquisition et la Société [[de Jésus], les deux fléaux de la vérité » note Pascal dans ses Pensées (Brunschvicg 920). Les jansénistes abominent l’Inquisition, ce trait en témoigne. Néanmoins, il est possible de soutenir que « Jansénisme » et « Inquisition romaine » forment un couple modèle à de nombreux égards.

Les néologismes de « janséniste » (1643), pour désigner un partisan de Cornelius Jansen, dit Jansénius, docteur en théologie à la faculté de Louvain, et de « jansénisme » (1649), n’apparaissent qu’à la suite des condamnations romaines de l’Augustinus de Jansenius et au cours de la polémique qu’elles engendrent en France. Indirectement, avec le relai des libelles jésuites, ils ont été ainsi en quelque sorte générés par l’Inquisition.

L’Inquisition romaine a accordé un traitement de faveur au jansénisme. Selon une procédure exceptionnelle à l’origine qui va devenir ordinaire à partir de 1651, l’examen des propositions suspectées d’hérésie est de moins en moins confié au personnel habituel et complet du Saint-Office, et de plus en plus aux membres, peu nombreux et institutionnellement choisis, d’une commission particulière, extraordinaire ou générale,  une congrégation de l’Inquisition instituée spécialement, comme cela avait été le cas au moment des affaires de Auxiliis gratiae.

La longévité de l’association est remarquable : elle court du concile de Trente, pour les prémisses à la Révolution française pour le dénouement, de la condamnation de Baïus en 1567  par Pie V à la bulle Auctorem Fidei, contre les actes du concile de Pistoie, en1794.

La fertilité des relations est considérable. Pour la seconde moitié du XVIIe siècle et la première moitié du XVIIIe siècle, les livres jansénistes (particulièrement d’auteurs français) représentent un pourcentage  significatif de l’ensemble des ouvrages mis à l’Index à la même époque : autour de 10% de 1641 à 1712 puis autour de 30% de 1713 à 1750. A partir de la seconde moitié du siècle des Lumières, ils diminuent sensiblement mais leur provenance s’élargit à d’autres pays que la Belgique ou la France : l’Italie au premier chef mais également l’Espagne, le Portugal, l’Autriche et  l’Allemagne.   

Comme beaucoup de couples passionnels, les disputes sont tout aussi exemplaires. Elles permettent d’illustrer toutes les modalités, difficultés et subtilités auxquelles se heurtent, à l’époque moderne, la définition de l’hérésie et le jugement d’un texte dont le statut se situe à mi chemin entre la théologie, la polémique et l’histoire, en l’occurrence l’Augustinus, publié pour la première fois à Louvain en 1641. En réalité, ces trois in-folio sont une réponse augustinienne tardive aux questions sur la grâce soulevées lors des précédentes controverses de Auxiliis gratiae. Controverses qui avaient divisé les dominicains espagnols et les jésuites et que le pape à l’issue des nombreuses congrégations chargées d’examiner le différend, n’avait pas voulu trancher autrement qu’en imposant le silence aux deux ordres en 1625. Sans doute, la mort de Jansenius, survenue le 6 mai 1638---l’auteur ne put ainsi  jamais s’expliquer ou se rétracter, selon la procédure normale--- n’est-elle pas étrangère à la démultiplication de problèmes de sens qui a caractérisé le nouveau différend : sens des propositions, sens du livre, sens de l’auteur, authenticité matérielle et formelle (proposition par rapport au livre et réciproquement), authenticité nominale (livre par rapport à l’auteur), authenticité doctrinale (auteur par rapport à la tradition augustinienne et du dogme) comme l’a détaillé Bruno Neveu.

Enfin, divorce oblige, l’évolution des disputes s’est soldée, dans la durée, par un renforcement et une clarification des positions qui étaient restées floues et empiriques au XVIIe siècle : du côté de l’Inquisition, l’autorité affirme sa nature infaillible et son étendue universelle sous la souveraineté du pape, du côté des jansénistes, la résistance rejette précisément cette autorité et se confond de plus en plus avec les forces anticurialistes.

La longue chaine des condamnations élaborées par l’Inquisition romaine permet de suivre les tribulations du sens en lequel doit être entendue « l’hérésie » janséniste. Son fil conducteur, comme l’ont montré Bruno  Neveu, Lucien Ceyssens ou Jean Orcibal, est le point de l’obéissance d aux décrets de l’autorité inquisitoriale et non une définition théologique et canonique de l’hérésie dans la rigueur du terme (opiniâtreté à défendre une proposition en contradiction avec la vérité révélée).

La scène originelle de la rencontre entre l’Inquisition romaine et le jansénisme pendant la séquence 1641-1643  est fondamentale, car elle détermine en grande partie l’engrenage de la suite des procédures. Elle ne se situe pas sur le terrain dogmatique,  là est le point essentiel à souligner. Les bulles et brefs d’Urbain VIII  ne font, en effet, que répéter les décisions pontificales de 1607-1625 interdisant de traiter des questions de Auxiliis gratiae. La confrontation n’est même pas véritablement première, en réalité,  puisque la  bulle In eminenti s’appuie également sur les précédentes condamnations de Michel Baïus, défenseur de la toute-puissance de Dieu et doyen de l’université de Louvain,  par Pie V, en 1567, et  par Clément XIII, en 1579. Ces dernières avaient pour particularité d’être demeurées abstraites, sans référence à des ouvrages précis, ni même au vénérable auteur qui avait assisté aux dernières sessions du Concile de Trente et  qui avait fini, du reste, par se rétracter.

La polémique s’est enflammée autour de l’Augustinus dès la sortie des premiers feuillets d’épreuves et a poussé le pape Urbain VIII à faire examiner l’ouvrage de feu l’évêque d’Ypres, accusé par les jésuites, notamment dans leurs thèses du 22 mars 1641, d’être un hérétique plus dangereux que Luther et Calvin réunis. Pour mettre fin à l’agitation, le Saint-Office fait paraître, le 1er août 1641,  un décret prohibant l’Augustinus et tous les ouvrages écrits aussi bien pour le combattre que pour le défendre, au double motif de contravention aux décrets de Paul V et d’Urbain VIII  interdisant les disputes sur la grâce et de « scandale public ».

L’inefficacité du nouveau décret, notamment face à la résistance des Conseils de Bruxelles qui empêchent son application, impose l’idée de la nécessité d’une bulle dogmatique au sein des membres du Saint-Office, surtout sous l’impulsion de l’assesseur Francesco Albizzi, juriste  lié à la Société de Jésus et au Collège romain. L’examen des théologiens aboutit à la condamnation de l’Augustinus, in globo, en tant qu’il contient et renouvelle plusieurs erreurs de Baïus déjà condamnées, sans aucune précision sur le fond ni aucun critère dogmatique. Publiée officiellement à Rome le 19 juin 1643, la bulle In eminenti reprend, dans son premier paragraphe, le texte de la constitution promulguée par Pie V, en 1567, contre 79 propositions, sans mention explicite de Baïus ou de ses œuvres. Elle résume également sa confirmation par Grégoire XIII, rappelle les décrets de Paul V et Urbain VIII qui portent défense de traiter « des secours de la grâce », renouvelle le décret du 1 août 1641 et prohibe enfin plusieurs ouvrages issus de la polémique renaissante.

A partir de 1643, peu après la publication de la Fréquente Communion d’Antoine Arnauld, disciple de l’abbé de Saint-Cyran, lui-même ami de Jansenius, la querelle se transfère en France. Celle-ci va se révéler une terre d’accueil particulièrement fertile, d’où il va résulter une intensification des rapports entre le jansénisme et l’Inquisition romaine. A la suite de vifs débats entre docteurs jansénistes et  docteurs antijansénistes au sein de la Faculté de théologie de Paris, vers 1649, à  propos de propositions formulées d’après l’Augustinus, cinq d’entre elles, choisies par le syndic Nicolas Cornet, prises abstraitement et sans référence à l’ auteur, sont transmises pour examen à l’assesseur Albizzi à Rome. La bulle Cum occasionne d’Innocent X les condamnera toutes le 31 mai 1653. Cependant, elle ne les articule à l’œuvre de Jansénius que par le lien très lâche de l’incipit de la bulle : « Cum occasione libri Cornelii Jansenii ». La commission du Saint-Office constituée par Albizzi en avril 1651 a élaboré une constitution qui se présente comme dogmatique, qui suggère même discrètement l’infaillibilité du document mais qui reste parfaitement vide sur le fond. Ainsi que l’a montré définitivement Toon Quaghebeur, sur la base des différentes versions du texte, « nulle part la bulle ne dit que les cinq propositions, se trouvent dans le livre de Jansénius, nulle part la bulle n’affirme que les cinq propositions sont de Jansenius, nulle part la bulle ne confirme que les opiniones libri Janseniii sont condamnées. » Innocent X accompagne la bulle d’un bref à Louis XIV et d’un autre aux évêques de France, qui prescriront la signature d’un formulaire à tout le clergé, obligeant de condamner de cœur et de bouche la « doctrine » des cinq propositions.

Le sens dans lequel sont condamnées les cinq propositions reste ainsi parfaitement énigmatique. Ce sera la source de la fameuse controverse de plus d’un demi siècle contre laquelle l’Inquisition romaine choisit de réagir par la force, en réaffirmant  la compétence du juge et en réclamant l’exécution de la sentence. Devant la résistance des jansénistes qui refusent d’attribuer les propositions à Jansenius, Alexandre VII, dans la bulle Ad sacram beati Petri sedemAugustinus et qu’elles ont été condamnées dans le sens auquel cet auteur les a expliquées. » Mais elle en reste, pour ce qui est de la définition de leur caractère litigieux, à la constitution de son prédécesseur Innocent X, ce qui revient à éluder, une fois encore le problème du contenu dogmatique. du 16 octobre 1656, déclare que « les cinq propositions ont été tirées du livre du même Cornelius Jansenius, évêque d’Ypres, intitulé

Cette nouvelle constitution dogmatiquement vide marque la naissance de « l’hérésie jansénienne », selon l’expression qu’emploie Alexandre VII dans son Bref aux évêques en 1663. Elle entraine également des conséquences pratiques : la nécessité d’ôter « tous les subterfuges et les prétextes de désobéissance ». Elle conduit à exiger du clergé, tant séculier que régulier, religieuses comprises,   par la signature d’un Formulaire pontifical. Ce dernier prévoit une condamnation « sincère » des cinq propositions « dans le sens de l’auteur ».  Le serment exigé se rapporte ainsi avant tout à des données intérieures soustraites à une appréciation objective. Il provoque une telle résistance, que Louis XIV qui l’avait pourtant attendu avec impatience,  finit par demander son abandon à Clément IX en 1668.

La paix de l’Église ne parviendra à se rétablir en 1669 que par le retour tacite à la distinction entre le « fait » (provenance et auteur) et le « droit » (sens selon l’auteur). Les jansénistes garderont un silence respectueux sur le « fait » ainsi distingué du « droit » puisqu’ils défendent la thèse que les cinq propositions ne se trouvent pas dans l’Augustinus. Mais le calme ne dure guère, notamment en raison des développements de la querelle sur la morale pratique, le rigorisme et  le laxisme, à Louvain.  Ces disputes, aggravées au tournant du siècle, par une sourde bataille d’historiens autour de la mémoire des luttes religieuses du Grand Siècle,  débouchent en  France sur la crise du « cas de conscience ». Celle-ci est déclenchée par le problème concret de la conduite à tenir face à un pénitent à l’attitude janséniste caractérisée, question qui est soumise aux théologiens de la Faculté de théologie de Paris puis déférée au Saint-Office. Finalement, c’est le principe même du « silence respectueux » qui va être rejeté par la bulle Vineam Domini en 1705, mais sans que soit précisé si l’assentiment concerne le « droit » seulement ou le « droit » et le « fait ». Seule la soumission personnelle au Formulaire est exigée au nom des précédentes constitutions apostoliques et au nom des « loix de l’Église et de l’État » ainsi que Clément XI l’a stipulé à Louis XIV dans son Bref de février 1703. La revendication par les jansénistes du maintien de la distinction va les transformer, aux yeux des théologiens de l’Inquisition, en une variété de rebelles spécialement dangereuse, parce que insaisissable. Ils sont capables, en effet, de s’expliquer « dans les propres termes de ce Formulaire, comme fait l’Église, sans penser néanmoins comme elle pense ; et faisant profession de se soumettre aux constitutions apostoliques, en même temps qu’ils les contredisent dans le fond de leur cœur ».

Face à autant d’ambigüités, les contestations, loin de s’apaiser, ne pouvaient que s’enflammer davantage. Au cours de la polémique, l’oratorien Pasquier Quesnel, dont plusieurs ouvrages ont déjà été mis à l’Index,  devient le successeur tout désigné du grand Arnauld à la tête du parti et cela avec d’autant plus d’évidence qu’il a rejoint son maître dans son exil à Utrecht et qu’il s’est illustré dans la défense de sa mémoire. Ses Réflexions Morales sur le Nouveau Testament en français dont il a entrepris l’édition dès 1678 sont dénoncés par deux fois au Saint-Office, en 1692-1693 et en 1699. L’ouvrage est condamné par un bref le 13 juillet 1708, mais Louis XIV fait pression pour avoir une constitution claire et définitive contre le livre dont il redoute visiblement qu’il ravive la sécession janséniste. Le 1er février 1712, le cardinal Fabroni institue une nouvelle commission spéciale (8 théologiens et 5 cardinaux) pour examiner 155 propositions. Jusqu’en décembre, les théologiens se réunissent 22 fois au couvent de la Minerve, siège ordinaire du Saint-Office. Il s’ensuit encore 23 sessions cardinalices où le pape prend une part prépondérante, devant une assistance composée de tout le personnel de l’Inquisition romaine. Par ses directives rédigées au nom des évêques de France, le père jésuite Daubenton semble avoir exercer une certaine influence sur la rédaction de la bulle Unigenitus. Finalement, le 8 septembre 1713, condamnation est prononcée contre 101 propositions. Elles sont donnée en latin, sans référence aucune et plus étonnant encore, sans la censure relative à chacune. Si la première partie dogmatique concernant les questions de la grâce et de la prédestination reste importante : (I-XLIV), trois nouveaux thèmes sont apparus, la morale : (XLV-LXXI), la pratique religieuse (LXXII-LXXXIX) et enfin la discipline ecclésiastique (XC-CI). La bulle Unigenitus va jusqu’à déclarer l’hérésie « formelle » mais se contente d’une censure globale : « Nous…réprouvons toutes et chacune les propositions ci-dessus rapportées comme étant respectivement : fausses, captieuses, mal sonnantes, capables de blesser les oreilles pieuses, scandaleuses, pernicieuses, téméraires, injurieuses à l’Église et à usages, outrageuses, non seulement pour elle-même mais pour les puissances séculières, séditieuses, impies blasphématoires, suspectes d’hérésies, sentant l’hérésie, favorables aux hérétiques, aux hérésies et au schisme, erronées, approchantes de l’hérésie et souvent condamnées, enfin comme hérétiques et comme renouvelant diverses hérésies, principalement celles qui sont contenues dans les fameuses propositions de Jansenius, prises dans le sens auquel elles ont été condamnées. » Fait nouveau, les paragraphes introductifs diabolisent tout à la fois l’auteur qualifié notamment de « faux prophète », ou de « séducteur plein d’artifices » et le livre, auquel est attribué un venin « très caché » sous couvert de l’autorité de la parole de Dieu. La difficulté de débusquer l’hérésie janséniste derrière des apparences de piété parfaitement orthodoxe est expliquée tautologiquement par sa « doctrine artificieuse ». Une forme aimable cache un fond secrètement pernicieux : « le style de cet ouvrage est plus doux et plus coulant que l’huile, mais ses expressions sont comme des traits prêts à partir d’un arc qui n’est tendu que pour blesser imperceptiblement ceux qui ont le cœur droit ». Tout se passe en quelque sorte comme si c’était la prise de conscience de la difficulté herméneutique qu’il fallait nier en la rejetant du côté de l’hérésie. De nombreuses propositions données sans commentaire paraissent en effet de pures citations des Écritures, de la liturgie, des Pères, en particulier de saint Augustin. Les dernières concernent des points de discipline essentielle des libertés de l’Église gallicane qui n’avaient jamais été prohibés par une constitution jusque là.

La première mesure de résistance des jansénistes va être de traduire, de commenter et de diffuser massivement la bulle Unigenitus afin d’en appeler au jugement du public, notamment dans l’écrit intitulé les Hexaples qui fait référence à l’Écrit à trois colonnes publié lors de la précédente affaire des cinq propositions. A une échelle plus modeste, cette stratégie d’appel au tribunal du public avait déjà été utilisée au XVIIe siècle, notamment au moyen du Journal de Monsieur de Saint-Amour entièrement consacré aux tractations romaines autour de la bulle Cum occasione.

Le refus de l’Inquisition de donner des explications sur la bulle Unigenitus, pourtant demandées par l’Assemblée du clergé de France, va provoquer la plus formidable crise jamais provoquée par la réception et  l’application d’une constitution romaine, suscitant une foule d’écrits polémiques qui seront à leur tour mis à l’Index, surtout dans la première moitié du XVIIIe siècle mais également au-delà, en langue italienne principalement. [Parmi les livres condamnés tardivement, il faut mentionner le livre de l’abbé François Philippe Mésenguy, Exposition de la doctrine chrétienne paru en 1744 et  mis à l’Index en 1755. La traduction italienne fera encore l’objet d’une congrégation générale le 28 mai 1761. Après moult délibérations, les cardinaux inquisiteurs généraux condamneront et réprimeront l’ouvrage comme contenant des propositions respectivement « fausses, captieuses, malsonnantes, scandaleuses, dangereuses, suspectes, téméraires, contraires aux décrets apostoliques et à la pratique de l’Église, et semblables à des propositions déjà condamnées et prescrites par l’Église » mais, chose remarquable, sans évoquer l’hérésie janséniste. C’est le parti janséniste qui se chargera de rendre publique cette procédure par un  Mémoire justificatif en 1763 soumettant au jugement du public, selon la démarche devenue habituelle,  les 45 propositions distribuées aux consulteurs,  et allant jusqu’à se permettre des observations sur le bref du pape. Sans doute faudrait-il mettre ce cas en rapport avec la censure soigneusement préparée par le Saint-Office mais jamais promulguée du bréviaire parisien de 1736, rédigé par Mésenguy, Vigier et Coffin et accusé de favoriser les erreurs de Baïus, Jansenius et Quesnel. L’ironie de l’histoire veut que Mgr de Vintimille qui avait commandité le bréviaire soit connu pour son action antijanséniste dans le diocèse de Paris ! Sans doute également le pontificat de Benoit XIV est-il marqué par une attitude de prudente libéralité à l’égard de ce qu’il appelle « les différentes opinions » des écoles---les thomistes, les augustiniens et les molinistes, trois manières d’accorder la liberté de l’homme avec la toute-puissance de Dieu. Cette politique le conduit en 1748 à « interpeller et admonester » publiquement le grand inquisiteur d’Espagne à propos de la mise à l’Index, l’année précédente, de deux ouvrages anciens du cardinal Noris, de l’ordre des Hermites de saint Augustin, pourtant lavé du soupçon de baianisme et de jansénisme puisqu’il avait été placé par Innocent XII au suprême Tribunal de l’Inquisition romaine. La querelle janséniste finit par atteindre le cœur même de l’Inquisition et à y introduire le venin de tensions.]

La bulle Auctorem fidei contre les actes du synode de Pistoie réuni par l’évêque Scipione Ricci en septembre 1786, bulle signée par le pape Pie VI le 28 août 1794, jour de la saint Augustin, est généralement considérée comme le dernier acte sur lequel se clôt la querelle janséniste. S’il est vrai que le synode a ravivé un point essentiel de l’imbroglio janséniste en réaffirmant le bienfondé du silence respectueux et de la distinction du « fait » et du « droit », la bulle s’attache beaucoup plus aux questions ecclésiologiques et juridictionnalistes. Elle les mêle aux erreurs dogmatiques classiquement condamnées chez Baïus, Jansénius et Quesnel, mais également, il faut le noter, aux hérésies protestantes. Attribuée pour l’essentiel au cardinal Gerdil, considéré pourtant comme un modéré,  c’est la constitution antijanséniste la plus précise et la plus tranchante-les censures étant portées sur chacune des propositions et non plus in globo. Mais elle assimile désormais le jansénisme aux forces réformistes anticurialistes. L’hérésie vide de contenu s’est remplie d’une autre hérésie riche de sous-entendus historiques en 1794. Comme les Nouvelles ecclésiastiques du 28 janvier 1796 le soulignent pour s’en moquer, cette censure cardinalice a duré trois ans et demi. Il a fallu en effet le lent travail de trois congrégations particulières, entre février 1789 et mai 1793, pour aboutir au texte final des 85 articles concernant l’autorité et la  constitution de l’Église (1-15), la théologie dogmatique (16-26), la sacramentaire (27-60), la pastorale (61-79), la réforme des ordres religieux (80-85), la convocation d’un synode national (85). La seconde s’est déroulée en même temps que la congrégation particulière pour les affaires de France formée pour juger des réponses à fournir à la cour de France, au sujet de la Constitution civile du clergé. Ainsi, le synode de Pistoie est jugé, en amont, à l’aune des condamnations de l’hérésie janséniste et, en aval, en fonction de l’actualité des réformes ecclésiastiques de la Constituante. Si l’on admet que le texte de la bulle progresse selon un crescendo qui va de la première proposition, typiquement janséniste, sur « l’obscurcissement de la vérité dans l’Église », à la condamnation dans la conclusion des actes de l’Assemblée gallicane de 1682, c’est la menace réelle de la modernité politique, celle de la subordination de l’Église à l’État dont la déclaration de 1682 était la préfiguration, qui est devenue prioritaire aux yeux des cardinaux inquisiteurs. L’acceptation des principes gallicans de 1682 par le concile de Pistoie n’est certes pas qualifiée d’hérésie, mais elle est réprouvée et condamnée comme « téméraire » et « scandaleuse », et, plus précisément encore, comme « souverainement injurieuse » pour le Siège apostolique. Le problème aigu ne porte plus tant sur les matières de la foi que sur la place de l’Église au regard de l’autorité politique. Au couple « Jansénisme » et « Inquisition » va se substituer au XIXe siècle celui de « Gallicanisme » et  « Ultramontanisme ».

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